
"Certaines formules ont pu traverser, voire durablement marquer la littérature, jusqu’à devenir des lieux communs dont l’origine compte finalement moins que l’usage : « Odi profanum vulgus », « roseau pensant », « écraser l’infâme », « science sans conscience », « willing suspension of disbelief », « je ne te hais point », « le petit chat est mort », « Le xxie siècle sera religieux ou ne sera pas », « écrire un poème après Auschwitz », « habiter poétiquement le monde », « un bon poète n’est pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles »… Ces quelques exemples suggèrent combien peut s’exercer une sorte de capillarité entre discours littéraire, critique, politique, philosophique, journalistique. Capillarité d’autant plus puissante que la formule littéraire peut se charger de possibles implications politiques : tel est bien le cas de « La poésie doit être faite par tous », qui a très vite été associée par les avant‑gardes à l’idée d’un communisme du génie, d’une abolition de la propriété littéraire, d’une collectivisation du travail poétique ou d’une éducation culturelle du peuple. Dès lors, même si la circulation d’une formule littéraire se fait au prix de surinterprétations, de déformations, de trahisons du texte original, et même de tentatives d’instrumentalisation du texte littéraire au profit de causes hétéronomes, ce sont précisément ces mécanismes qui sont significatifs."
Olivier Belin est l'auteur de: La Poésie faite par tous. Une utopie en questions (Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2022)