3/29/2019

Maldoror habillé en grenouille


Évalué par la maison de vente Pierre Bergé entre 1500 et 2000€ cet exemplaire de l'édition de la Sirène a été vendu (avec les frais) 4762€.
Sa reliure pour le moins originale (et d'un goût qu'on peut contester) aurait été commandée par Georges Bataille - dont on connaît l'imaginaire assez pathologique.
Fine allusion sans doute à l'incipit du Chant Quatrième : «Quand le pied glisse sur une grenouillel’on sent une sensation de dégoût ; maisquand on effleureà peinele corps humainavec la mainla peau des doigts se fendcomme les écailles d’un bloc de mica qu’on brise à coups de marteau...».

Notice du catalogue:





LAUTRÉAMONT (Isidore Ducasse, dit le comte de)


Les Chants de Maldoror avec cinq lettres de l'auteur et le fac-similé de l'une d'elles. Paris, Au Sans Pareil, 1925.
In-12 [189 x 136 mm] de (2) ff., 1 fac-similé, 297 pp. la dernière non chiffrée, (2) ff.: demi-veau vert bronze, plats de veau naturel brun avec, incrustées, les deux parties d'une peau de grenouille, bordures intérieures de veau vert bronze avec large filet au palladium, non rogné, tête dorée, couverture et dos conservés (L. Thalheimer).
Dirigé par René Hilsum, le Sans Pareil fut le premier éditeur des surréalistes qui firent des Chants de Maldoror leur Bible. L'édition renferme le texte de cinq des sept lettres de Lautréamont connues aujourd'hui.
Exemplaire numéroté sur vélin Lafuma de Voiron.
Remarquable reliure de l'époque de Lucienne Thalheimer décorée d'une peau de grenouille incrustée sur les plats.
Relieur de métier, Lucienne Thalheimer (1904-1988) fut active entre 1925 et 1960. Au sortir de l'Art déco, sa rencontre avec le surréalisme fut décisive au point de l'engager à une création propre à se détourner de la surenchère décorative. Son talent enchantait André Breton qui lui confia notamment le manuscrit d'Arcane 17, orné d'une peau de morue.
La reconnaissance accordée à ces “reliures de femmes” aura été tardive, sans doute par “réaction androcentrique” selon le mot de Jean Toulet. Et ce dernier de surenchérir cum grano salis: “Mis à part quelques amateurs assez puissants pour se permettre quelques foucades et passer outre à la réprobation des “vrais” relieurs, il est évident qu'elles ne pouvaient travailler pour les collectionneurs “sérieux” peu disposés à risquer leurs livres dans des mains aussi gracieusement légères” (Jean-Claude Vrain, Reliures de femmes de 1900 à nos jours, 1995, p. 6.- Yves
Peyré, Histoire de la reliure de création 2015, p. 51: “Lucienne Thalheimer est le relieur surréaliste par excellence.
Elle marque une grande date dans l'histoire de la reliure, elle est de ces talents qui orientent un art.”)

[Information de la revue de BnF, Chroniques No 85, et communiquée par Éric Walbecq]