Tout sur Isidore Ducasse et Lautréamont.
Textes, Documents, Actualités, Bibliographie
▼
9/29/2009
Nelly Arcan et Maldoror
Le Devoir, Montréal, Édition du mardi 29 septembre 2009
«J'étudiais la philosophie, elle, la littérature. Nous nous sommes rencontrés grâce à une amie commune. Je me souviens de ses yeux bleus qui contrastaient de manière provocante avec sa chevelure noire, longue et bouclée. C'était l'Isabelle d'avant Nelly. Son esprit vif m'avait autant séduit que ses courbes naturellement voluptueuses. C'était l'Isabelle d'avant le bistouri. Cet été-là, j'ai eu le très grand privilège d'entretenir avec elle une liaison intime. Nous pouvions passer de longs moments à débattre. Ses objections étaient solides, ses arguments dévastateurs. Car Isabelle n'était pas qu'une femme de lettres, c'était aussi une femme de philosophie. Un jour, elle voulut connaître mon opinion sur un travail d'université qu'elle avait écrit sur Nietzsche et Lautréamont intitulé: L'homme qui veut périr. Elle y faisait un brillant rapprochement entre le philosophe et son poète préféré sur le thème de la mort.
Le matin de l'annonce tragique de son décès, je sors de mes boîtes le manuscrit que j'ai conservé et le relis. Elle ne m'en voudra pas d'en partager avec vous un court extrait.
Isabelle éprouvait une véritable fascination pour le personnage principal des Chants de Maldoror de Lautréamont. Maldoror méprise et déteste Dieu ainsi que sa création, l'humanité, qu'il qualifie de vermine. Sa révolte est telle qu'il tente de surpasser Dieu dans sa terrible cruauté. Mais la haine de Maldoror se retourne ensuite contre lui-même: «Maldoror détruit le monde et, dans la continuité de son geste, va au-devant de sa mort. Dégoûté, il cherche à mourir, ne pouvant supporter d'avoir pour dieu une telle vilenie, une telle bassesse, dépourvue de grandeur morale et de pureté; faute de ne pouvoir aspirer à la plénitude d'un au-delà, il préfère périr, activement, dans la révolte la plus totale». (Extrait du texte d'Isabelle).
Loin de moi l'intention d'interpréter naïvement le geste d'Isabelle à la lumière de ces écrits. Cette énigme restera à jamais impénétrable. Cependant, cette fascination pour Maldoror apporte peut-être quelques fragments de réponses. Contrairement au personnage de la mère dans Putain, la «larve» tant méprisée qui se laisse passivement mourir, Maldoror est puissance affirmative jusque dans la volonté de mort. Comme quoi s'enlever la vie peut être le lieu d'une dernière affirmation.»
David Hughes, Montréal, le 26 septembre 2009